Dans
la tradition Soufi, les derviches tourneurs symbolisent l'axe de l'univers,
aussi appelé Arbre de Vie.
Les danseurs mystiques portent une robe longue en toile de laine blanche,
qui se soulève au rythme de leurs transes circulaires.
Ils pivotent sur eux-mêmes, tout en dessinant un cercle sur l'aire de
danse, parfois pendant des jours et des nuits.
Ainsi pour atteindre la transcendance (transe en danse), l'homme tourne
autour de son centre intérieur, et en même temps autour d'un centre extérieur
à lui-même,
planète autour du soleil,
électron autour de l'atome,
automobiliste autour du rond-point.
Les voitures, les camions, les vélos et les piétons tracent eux-aussi
des trajectoires éphémères autour du rond-point,
comme attirés puis repoussés par une attraction invisible,
sans jamais pénétrer dans le terre-plain central,
créant ainsi un cercle sacré délimité par les panneaux flèchés.
Au rond-point Fouchard, un Magnolia se dresse dans ce cercle, pousse ses
branches vers le ciel, impassible, enveloppé de ses feuilles persistantes.
Mon intervention plastique se greffe aux branches fragiles, au tronc et
aux panneaux de sens giratoire, extension organique de l'arbre et du rond-point,
robe soufi arrêtée dans son mouvement.
Les cocons et les membranes qui forment le tissu de cette toile tendue,
jouent avec les lumières, éclairés par le trajet du soleil -et de nuit
par les lampadaires lointains et le balayage éphémère des phares.
Dans
ces jeux de transparence et d'ombres projetées, le scotch se métamorphose
et engendre des mutations subtiles de l'environnement, ajoutant une dimension
symbolique à la fonction utilitaire et décorative du rond-point. Cette
capacité de métamorphose quasi alchimique est une des raisons
pour lesquelles le scotch est devenu mon principal mode d'expression.
L'art contemporain est un contexte privilégié pour ma pratique proche
de la méditation, de l'artisanat, de la poésie, du jeu ou de l'ascèse.
J'interviens ainsi dans toutes sortes de lieu, sans a priori, autant pour
la beauté de la chose que pour provoquer des rencontres. Comme un derviche
peut tourner aussi bien sur le parquet d'une scène de spectacle que dans
une salle de danse, dans un appartement, sur de la terre battue, ou sur
un rond-point en Novembre.
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Le
scotch est un medium artistique comme un autre
à l'instar de la terre ou de la pierre dans la sculpture,
des couleurs dans la peinture,
des pixels dans la vidéo,
du langage dans la poésie
ou de la voix dans le chant.
Le scotch est aussi devenu pour moi un " genre " en soi
-au même titre que la peinture, la sculpture, l'écriture, la musique,
l'installation ou la performance-,
un genre qui me permet d'exprimer dans le domaine artistique tous les
niveaux de compréhension et d'interrogations
que la vie offre à l'observateur attentif de la Nature et des Hommes.
Travailler le scotch me permet autant l'introspection que l'expérimentation
et l'expression.
Bien au-delà de la métaphore arachnoïde, le scotch instaure dans les lieux
investis un décalage du regard qui se pose dans les espaces intermédiaires,
inoccupés, de passage.
L'environnement (architectural, naturel, humain, social, historique, lumineux,
…) et la fonction du lieu scotché jouent un rôle primordial dans le moment
de la création in situ, ainsi qu' en amont pour le coup de cœur, et en
aval pour le titre final. Ce titre s'impose souvent de lui-même
après la création, comme une suite logique de "ce qui
s'est passé" lors de la rencontre entre le scotch et le lieu.
L'œuvre reste douée de sa vie propre, éphémère, avec sa naissance et sa
mort,
mais le sens que je donne à mon intervention reste ouvert à l'interprétation
intime de chaque humain qui la rencontre,
ou qui entre en contact avec ses ramifications
(photographies, vidéos, souvenirs mentaux, anecdotes, véritable saga ou
article de presse, catalogue…).
L'échange entre humains, la liberté et la vérité du cœur sont mes cibles
intimes. Et pratiquer le scotch m'offre la possibilité d'atteindre ces
cibles, comme par accident, tout en réunissant les conditions (innombrables
et subtiles) pour que la magie opère. C'est le cas chaque fois depuis
ma première expérience de tissage au scotch, il y a plus de 10 ans. Certains
appellent cela de l'adaptation, de la chance, une obsession, de l'intuition,
du travail, de l'expérience ou de l'improvisation, je préfère parler de
magie de la matière elle-même, qui peut devenir outil, matériau, support
et opportunité d'expériences aux possibilités infinies.
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